LILIAN DAUBISSE

LA BÊTE ENDORMIE

Depuis sa sortie des Beaux-Arts de Nantes il y a près de 25 ans, Lilian Daubisse consacre son oeuvre au carton ondulé, matériau pauvre s’il en est, qu’il s’attache à transformer pour le sublimer, nous le donner à voir tel un archéologue contemporain soucieux de faire ressurgir quelques vestiges d’une matière oubliée.

Des premiers costumes de scène réalisés pour le chorégraphe Joseph Nadj, aux féeriques vitrines Hermès disséminées dans le monde, en passant à la création de sculptures et autres installations qu’il expose régulièrement en galeries et centres d’art, cet artiste « du faire » n’a de cesse de nous conter l’épopée d’un matériau totalement déconsidéré, même si utilisé au quotidien et à grande échelle aux quatre coins de la planète.

Ce matériau (…) devient sous les mains de Lilian Daubisse matière rare et précieuse, support malléable à souhait pour donner naissance à un univers peuplé d’êtres fantastiques, d’armures et masques insolites le plus souvent inspirés par les Arts Premiers.

Le geste semble à la fois simple et complexe, qui consiste à découper, assembler, coudre, nouer… et toujours répétitif dans la nécessité de sculpter les formes par l’accumulation de quelques centaines ou milliers de morceaux délicatement ciselés.

La question même de l’Art Brut se poserait si le travail de l’artiste ne débutait si souvent par l’étape du dessin, et parfois même, dans le cas des grands formats, par la maquette, introduisant la notion de conception, et de manière récurrente, en amont du geste. Certes l’artiste est bien ici l’artisan de son oeuvre puisqu’il s’impose de la réaliser de ses propres mains, mais son geste s’il est dirigé par l’esprit, est aussi commandé par un projet préalablement établi. Il s’agit bien de création et de sculpture, et cela au-delà de qualité du matériau utilisé qui ne rentre pas dans la nomenclature habituelle des arts considérés comme majeurs.

Ainsi, dans le droit fil des sculpteurs qui ont traversé l’Histoire, cet artiste du carton nous renvoie-t-il au geste élémentaire et primitif de faire surgir la vie d’un simple morceau de pierre ou de bois, élément inerte aux yeux de la plupart d’entre nous et dans lequel il aura pu seul déceler la puissance et l’énergie créative qui guidera sa main pour en extraire une oeuvre. (…) — Jean-Marc Dimanche

Aujourd’hui, dans la continuité de mon travail avec le carton ondulé, qui s’attache depuis ses débuts à exhumer une archéologie imaginaire, je désire développer un univers plus abstrait qui fasse appel à l’installation. Ainsi je souhaite opérer un changement d’échelle et réaliser une pièce de grandes dimensions : longueur sept mètres, largeur trois mètres, hauteur deux mètres.

L’oeuvre se compose d’une vingtaine de sellettes en bois, ensemble sur lequel est fixée une ossature elle-même en bois. Un filet tressé de brindilles de carton, évoquant la fourrure d’un animal, recouvre le relief ainsi créé.

Ce projet prévu dans un premier temps pour présenté à mon atelier offre plusieurs lectures.

On peut comprendre cette oeuvre comme le grand plan-relief d’une île vierge et inconnue, sur laquelle il est possible de développer, comme dans le cas de ceux exposés au musée des Beaux-Arts de Lille, une stratégie défensive urbaine. Les deux réalisations ont en commun, le carton, le bois et le fil, matériaux élémentaires avec lesquelles elles sont construites.

La structure visible en bois qui supporte l’ossature et la fourrure de carton nous oriente aussi vers un autre décryptage, plus architectural cette fois, l’ensemble pouvant évoquer la grande tente d’une tribu nomade inconnue. L’usage du carton, rappelle à cet égard le travail sur les habitats de réfugiés de l’architecte japonais Shigeru Ban.

Enfin la vision d’ensemble de l’oeuvre évoque, selon moi, un animal fantastique endormi, l’entité pouvant alors être interprétée comme un trophée écologique ou allégorie de notre monde endormi. — Lilian Daubisse (2020)

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