MARJOLAINE DÉGREMONT

CABANES PERCHÉES

OÙ DES JOURNÉES ENTIÈRES DANS LES ARBRES

Dessinatrice et peintre, sculpteure et installatrice, Marjolaine Dégremont met en scène un univers (…) intermédiaire, entre réalité et fiction (…) L’expression plasticienne, toujours, est discrète : sculptures de plâtre blanc et en matériaux fins ; dessins convoquant en les combinant motif floral et thème du linge ; installations in situ face au sein desquelles le spectateur a tout loisir de vaquer dans des espaces où une respiration est laissée, et où toute latitude est permise de méditer, de prendre du recul, de s’absenter un moment de la fureur du monde. Cette création se refuse au réalisme cru, elle incline plus volontiers à la métaphysique et plaide pour les vertus de l’art « pensif » (…)

Quel en est, au plus près, le propos ? L’univers artistique de Marjolaine Dégremont, génériquement, est celui des fragilités.

Fragilité de l’humain, évoquée en filigrane à travers des dessins abstraits aux traits doux et aux réseaux utérins. Fragilité, aussi, du « métier de vivre » (Cesare Pavese), évoquée à travers des installations où le thème du refuge est persistant et où abondent tente de toile pour s’y calfeutrer et autres cabanes perchées sur de longues tiges tortueuses, allusion au risque permanent de la chute. Fragilité, encore, des équilibres environnementaux, évoquée par l’artiste à travers des sculptures qui se résument à dessein à de simples treillis disposés dans le milieu naturel comme autant de ponctuations aussi aériennes qu’un insecte posé sur la surface de l’eau, « crainte de tout casser en faisant trop de bruit », comme dit le poète.

L’humanité a besoin d’être secourue, recueillie, choyée ? Incitent à s’en assurer, encore, ces sculptures en forme de conques évoquant la pirogue, la coque du fruit, la carapace, une peau en plus de la peau.

Une artiste dont la création évoque (…) le monde humain « vulnérable » (…)

L’oeuvre plastique de Marjolaine Dégremont ne contredit pas cette intuition, ouvrage d’une personnalité engagée (auprès d’Act Up, notamment) qui tient à distance le « beau style » pour privilégier l’expression plastique efficiente, quand forme, verbe et sens acquièrent, de s’épauler, une vocation mentale (…)

La règle, ici, de l’esthétique, la voici : marier expression plasticienne et réflexion sur les failles de l’humain et son besoin de sécurisation. Réitérer l’idiome et l’image du refuge (cabanes, abris, installations où l’oeuvre habite des recoins, zones de réclusion…) comme l’oeuvre de Marjolaine Dégremont nous le rappelle instamment, au cas où nous feindrions de l’ignorer : ce monde, le nôtre, n’est pas toujours le nôtre. Faute de pouvoir y vivre comme l’on voudrait, faute de pouvoir le fuir, il faut parfois y construire ou s’y faire construire son « terrier » kafkaïen, une zone en retrait, une Panic room où, sinon se ressourcer, du moins pouvoir connaître une paix temporaire.

Vivre, aussi, c’est devoir se mettre en protection, s’abriter.

Cabanes perchées où Des journées entières dans les arbres le projet de l’artiste pour la Friche de l’Escalette, cette saison 2022, une installation in-situ, prolonge l’oeuvre sans contredire ses précédentes inflexions.

[Si aujourd’hui, devant la mer, sous le soleil, le ciel d’azur et le chant des cigales dans les pins, ces ruines dégagent une atmosphère apaisante, il n’en a pas toujours été ainsi. Espace au dur passé que celui-ci, une usine métallurgique où l’on traitait le minerai de plomb, activité hautement polluante, ou des générations d’ouvriers pauvres, principalement italiens, repartaient au pays atteints du ” mal du plomb “, le saturnisme.]

Marjolaine Dégremont, dans ce périmètre (…) au passé chargé va occuper un ancien atelier à ciel ouvert d’une centaine de m2. Elle y “met le blanc”, pour commencer. Plusieurs fosses et socles sont passés à la chaux, comme parés d’un manteau symbolique de pureté (…) puis ponctués de cabanes perchées, blanches encore, exposées en nombre et toutes à l’état de déséquilibre, proches de basculer dans le vide, à l’image de L’homme qui tombe de Giacometti (…)

L’ensemble, qui peut se parcourir à pied, en se déplaçant au sein de l’installation elle-même, s’assimile à une promenade allégorique dans un milieu à la fois menacé et rédimé, aussi abandonné pour la civilisation humaine qu’il se voit repris en charge par l’intervention artistique, sur un mode récupérateur, salvateur aussi (…)

Paul Ardenne est écrivain et historien de l’art. Il est notamment l’auteur de Art, le présent (Regard, 2010) et de Un Art écologique. Création plasticienne et anthropocène (La Muette/BDL, 2018)

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